Voler une voiture ? Jamais ! Voler un sac ? Jamais ! Voler une télé ? Jamais ! Voler un film… Jamais ? La Federation Against Copyright Theft (FACT) l’avait pourtant esquissé dès 2004, les nouvelles technologies n’arrivent jamais sans craintes. La crise du disque peut s’apprécier comme l’une des premières crises de l’un des mécanismes fondateurs du droit d’auteur et plus largement, à quelques exceptions près, du mécanisme du droit exclusif. Il n’est désormais plus question de savoir si une nouvelle crise surviendra, mais bien de déterminer l’instant inéluctable où celle-ci se manifestera.
Pour autant, cette omniscience numérique est difficilement compatible avec l’état du droit positif en matière de propriété intellectuelle. Si le caractère rival des biens corporels permet de percevoir aisément les atteintes qui leur sont portées, en revanche, il n’en va pas de même pour le bien intellectuel, qui par nature échappe à toute rivalité. L’horloge technologique poursuit son inexorable progression, et il est fort plausible qu’elle amène à terme chacun à se transformer en contrefacteur en puissance.
Ainsi, avec l’évolution des technologies, la contrefaçon remet en question le modèle de droit d’auteur fondé sur l’exclusivité. En réponse à la crise du disque, l’outil de la licence légale a vu le jour.
Ne serions-nous pas aujourd’hui confrontés à une situation similaire et systémique ?
Le modèle de la licence légale présente de nombreux désavantages pour les titulaires de droits. Elle brise notamment la vision personnaliste du droit d’auteur et détruit le mécanisme d’exclusivité de l’auteur. Pour autant, si la faculté légale d’interdire n’est plus coercitive, le titulaire est privé de la rémunération de son œuvre.
Seront notamment analysées les conséquences économiques de cette privation de rémunération.
1. Prémisses
- Le droit d’auteur européen et français repose sur la faculté, pour le titulaire des droits, d’interdire l’exploitation et l’utilisation de l’œuvre par les tiers.
- Le titulaire peut rendre son œuvre excluable ; le consommateur paie alors le prix de l’accès à l’œuvre (licence).
- À droit constant, l’évolution des nouvelles technologies et de l’intelligence artificielle tend à faciliter le contournement du caractère exclusif du droit d’auteur.
2. L’exclusivité du droit d’auteur : l’approche traditionnelle
Le régime actuel de l’exclusivité du droit d’auteur permet au titulaire des droits de contrôler l’utilisation de son œuvre en percevant notamment des redevances par le biais de licences.
Formellement le système s’explique par les paramètres suivants :
- : le prix de la licence
- : le nombre de consommateurs payant pour utiliser/exploiter l’œuvre
- : l’utilité totale des titulaires et des consommateurs
- : l’utilité de chaque consommateur
L’utilité des titulaires s’explique par les revenus issus des licences.
Pour les consommateurs, l’utilité correspond au bénéfice de l’œuvre diminué du prix payé.
Ainsi, l’utilité totale du modèle reposant sur l’exclusivité est le suivant.
Or, la contrefaçon modifie l’équilibre. Désormais une proportion des consommateurs utilise et exploite l’œuvre sans payer le prix, ce qui réduit les revenus des titulaires.
Les consommateurs, eux, continuent de bénéficier de l’œuvre, même s’ils ne paient pas tous :
Finalement, l’utilité totale reste identique :
Le mécanisme de l’exclusivité engendre une sorte de tragédie des anti-communs. L’œuvre, en tant qu’anti-commun, est non seulement sous-exploitée car bloquée par la contrainte budgétaire de certains consommateurs, mais les nouvelles technologies tendent également à favoriser un comportement de passager clandestin, car la contrefaçon touche même ceux qui étaient prêts à payer le prix de la licence.
3. La licence légale : une solution efficiente ?
En réponse à cette tragédie du droit d’auteur, le modèle de licence légale peut être envisagé. Chaque consommateur paie une redevance au moment de l’achat du matériel servant à contrefaire l’œuvre.
L’idée de la licence légale repose sur un constat pessimiste : il n’est pas possible de contrer la contrefaçon.
Soient :
- : la redevance légale,
- : le nombre de consommateurs dans l’hypothèse d’une licence légale supposé être supérieur à en raison de l’accessibilité accrue.
L’utilité des titulaires de droits devient alors :
Quant aux consommateurs, leur utilité dépend du bénéfice qu’ils retirent de l’œuvre, diminué de la redevance :
L’utilité totale dans l’hypothèse de la licence légale s’exprime par :
4. Comparaison des deux systèmes selon le critère de Kaldor-Hicks
Il convient d’utiliser la reformulation de l’optimum de Pareto avec l’outil qu’est le critère de Kaldor-Hicks. Il permet d’évaluer l’efficacité d’un changement de paradigme en comparant les utilités totales avant et après la mise en place d’une redistribution forfaite et dans notre cas de la licence légale.
Si l’utilité totale sous licence légale dépasse celle de l’exclusivité du droit d’auteur , alors le changement est économiquement justifié.
Ainsi, si cette condition est remplie, la transition vers une licence légale serait bénéfique au niveau macro et ce même si certains acteurs voient leurs revenus diminuer temporairement.
5. Conditions de compensation des pertes
Pour que la transition des deux modèles soit avantageuse, la redevance , bien qu’inférieure à doit compenser la perte de revenus par l’augmentation du nombre de consommateurs :
De même, l’utilité des consommateurs doit à priori être supérieure dans l’hypothèse de la licence légale :
6. Une transition à demi-teinte ?
À travers l’outil Kaldor-Hicks, la licence légale semble améliorer le bien-être collectif malgré des pertes pour certains acteurs. La clef du changement réside plutôt dans l’augmentation du nombre de consommateurs et dans l’équilibre entre le revenu des titulaires et l’utilité totale.